Plusieurs semaines ont passé depuis le raid sur la flottille de Gaza. Progressivement, les nombreux magasins du marché arabe de la Vieille Ville de Jérusalem, fermés en signe de protestation, rouvrent leurs portes. Le Centre d'information du Tourisme de la Porte de Jaffa a lui aussi enregistré une baisse de fréquentation. "C'est un peu plus calme par ici ces derniers temps", note Jennifer, une bénévole du centre. "S'il n'y a rien à acheter", observe-t-elle, "il n'y a personne dehors."

Alors que les remous du Mavi Marmara commencent à prendre le large, la capitale israélienne entame une campagne de relations publiques. Sur fond de mot d'ordre évocateur : "Quelque chose de bon se passe à Jérusalem". Objectif avoué de la municipalité : faire de la Ville sainte une destination culturelle, reconnue mondialement pour son aspect historique et religieux, certes, mais aussi pour ses richesses artistiques. Mais il s'agit de Jérusalem, et Jérusalem rime avec problèmes.

"Quand on parle de cette ville, tout dépend de la façon dont les médias la présentent", avance George Foster, touriste londonien de passage dans la capitale pour une semaine, alors qu'il franchit la porte de Jaffa pour la première fois.

"L'image de Jérusalem est intrinsèquement liée à celle d'Israël pour les étrangers, et malheureusement, celle-ci a connu des jours meilleurs", renchérit une autre touriste, Kate Engberg, de Gothenburg, Suède.

Le Centre de la porte de Jaffa, géré par le ministère du Tourisme, accueille en moyenne 400 à 600 touristes par jour. Un nombre qui peut grimper jusqu'à plusieurs milliers les week-ends d'été et en période de Noël, les moments forts de la saison touristique de la Vieille Ville. "Certains jours, la porte ne se referme quasiment pas", déclare Jennifer. Le Centre distribue 8 000 à 10 000 cartes du pays par mois et dispense des conseils et des brochures en anglais, espagnol, français, russe, italien, allemand et hébreu.

Jennifer est tombée amoureuse de la ville. Six jours par semaine, elle répond aux questions et partage sans compter sa vaste connaissance du pays. Elle suggère des excursions journalières, indique le pourboire à laisser dans les restaurants et discute de culture moyen-orientale.

Jennifer et ses collègues offrent quotidiennement leur écoute et leur sourire à des visiteurs qui se plaignent régulièrement de se faire arnaquer par les chauffeurs de taxi, de ne jamais trouver les services dont ils ont besoin et d'être harcelés par les propriétaires de magasins et les pseudo-guides touristiques de la Vieille Ville.

"Ils s'attendent à une Ville sainte, ils sont déçus", pointe la jeune femme. "Mais je suis là pour ça... Je veux qu'ils repartent avec une bonne impression."

Une destination de choix

Hilik Bar dirige la campagne de marketing de la municipalité, dans le cadre de ses fonctions d'adjoint au maire en charge du tourisme et des relations extérieures. "Jérusalem est effectivement la destination privilégiée des touristes en Israël", explique-t-il. Selon lui, 90 % des visiteurs étrangers passent par la capitale à un moment donné de leur voyage, mais seulement près de 80 % d'après le ministère du Tourisme.

Le constat de Bar qu'il fonde sur les réactions des voyageurs : Jérusalem n'est pas une ville accueillante et l'expérience touristique n'est pas des plus réussies. Alors qu'il s'épanche sur le vaste potentiel de la capitale, Bar peine à reprendre son souffle. Son discours est étudié et poli à la perfection, et livré avec une telle ardeur que l'on ne peut s'empêcher de se la représenter, cette Jérusalem du futur : des kiosques élégants offrant des cartes personnalisées pour pèlerins évangéliques coréens ; des agents municipaux pleins de bonne volonté qui se démènent pour aider un routard allemand à trouver un hébergement d'un mois ; des toilettes publiques disséminées dans tout le centre-ville ; des panneaux indicatifs bien situés, de sorte que personne ne puisse s'égarer dans les ruelles étroites de la Vieille Ville. Un tableau idéal, d'apparence si facile à réaliser. Avec un tel relooking de la marque Jérusalem, 3,4 milliards de visiteurs potentiels garantis !

Aider les visiteurs à se sentir bien

Un chiffre qui revient sans cesse dans la bouche de Bar, faisant référence à tous ces Chrétiens, Juifs et Musulmans qui considèrent la cité hiérosolomytaine comme l'une des villes les plus importantes du monde. Pour le moment, la municipalité met le cap légèrement plus bas : l'objectif est de 10 millions de visiteurs par an pour la prochaine décennie.

Premier enjeu, donc, la capacité du parc hôtelier qui doit doubler : de 10 000 à 20 000 chambres disponibles. Quant à l'infrastructure touristique, elle doit être revisitée de fond en comble. Une manne économique, car pour chaque 100 000 touristes supplémentaires, calcule l'adjoint au maire, la ville crée 4 000 nouveaux emplois dans le secteur touristique et hôtelier.

Pour changer son image de marque, la ville s'est choisie quatre axes de développement distincts mais reliés : améliorer la qualité des prestations touristiques ; attirer les populations à forte croissance comme les pèlerins chrétiens et les touristes russes ; augmenter la tenue de congrès et autres conventions ; et recruter des touristes pour en faire des ambassadeurs de la ville, dans l'esprit de ce vent de Hasbara, dont Israël a si désespérément besoin.

"Nous essayons de nous mettre dans la peau d'un touriste, de penser comme lui", avance Bar.

Une des clés de cette nouvelle approche : faire en sorte que les visiteurs se sentent à l'aise dans la capitale, qu'ils puissent se repérer, se faire comprendre et être compris. Un constat, fruit d'une année de recherche et d'études internes pour la municipalité. Au programme donc, l'ouverture de centres d'information à l'image de celui de la porte de Jaffa, et des employés polyglottes. Mais aussi la numérisation de données à disposition des visiteurs : dix antennes touristiques proposeront des informations régulièrement mises à jour et qui permettront aux visiteurs de réserver une chambre d'hôtel ou des billets de théâtre. La ville a affecté 2 millions de shekels au développement de ces antennes qui devraient voir le jour en 2011.

Culture et musique : le meilleur atout

Mais l'objectif principal de la municipalité est de faire de la ville une destination culturelle internationale. Voir les touristes affluer pour écouter les festivals de jazz de la vallée de la Croix, assister à un concert gratuit au Gan Sacher ou admirer le spectacle de lumières sur les murs de la Vieille Ville de 3 000 ans d'âge, là réside tout l'espoir des initiateurs de la campagne.

"Nous mettons l'accent sur des entreprises culturelles qui attireront le touriste, parce que là où la culture est reine, les possibilités économiques se développent", explique l'ancien adjoint au maire Pepe Alalu, qui détient le portefeuille de la Culture. Force est de constater que le calendrier d'été regorge d'événements culturels : la Foire artisanale à Houtsot Hayotser, la Foire du vin, le Festival d'Israël, des concerts à Kikar Safra tous les vendredis et les prestations de grandes stars israéliennes comme Idan Raichel, Kobi Perez et Ehoud Banaï à la Piscine du Sultan. Les manifestations culturelles sont la meilleure carte pour attirer les visiteurs, ajoute-t-il. Pour preuve : les employés de la Porte de Jaffa disent n'avoir jamais vu la Vieille Ville si peuplée, la nuit, que lors du Festival des Lumières.

"Selon un dicton israélien, on travaille à Haïfa, on s'amuse à Tel-Aviv et on prie à Jérusalem", cite Alalu. "Mais nous essayons de faire de Jérusalem un lieu culturel, pôle d'attraction pour les touristes, et source d'emplois."

Un défi d'envergure, reconnaît-il, car il n'est pas si facile de convaincre des artistes internationaux de privilégier la capitale israélienne au lieu de Tel-Aviv. Pour des raisons d'ordre politique, bien sûr, mais aussi au vu des installations beaucoup plus modestes à Jérusalem : aucun site de la ville ne peut contenir plus de 7 000 personnes.

En outre, selon Alalu, tous les efforts sont conjugués pour inciter la jeune génération à rester dans la ville. La municipalité est consciente que beaucoup d'Israéliens perçoivent Jérusalem comme une ville trop haredi et trop coûteuse, que les jeunes fuient pour la métropole de Tel-Aviv, à la recherche d'emplois plus valorisés et de logements moins chers. "Jérusalem est une ville ancienne et pieuse, mais c'est aussi une jeune cité, où la culture et les musées prolifèrent, sans oublier ses 40 000 étudiants", observe Bar. "Nous devons améliorer son image, d'abord aux yeux des citoyens israéliens, afin qu'ils comprennent qu'il fait bon y vivre."

Faire évoluer les mentalités

Promouvoir une ville n'est pas chose facile, prévient Bill Baker, président de Total Destination Management, une société de relations publiques spécialisée dans le marketing des petites villes. Il ne faut pas parler de "campagne de publicité", précise-t-il. "Le développement d'une identité durable et authentique pour une ville se fait sur du long terme. Changer la perception et le comportement des habitants à l'égard de leur lieu de vie prend beaucoup de temps."

Et beaucoup d'argent aussi. Les budgets municipaux précédents se sont contentés de quelque 3 millions de shekels pour "vendre" Jérusalem aux touristes, précise Bar. Mais le budget actuel consacre plus 35 millions de shekels millions à la promotion : 18 millions issus des caisses de la municipalité, auxquels s'ajoutent 17 millions alloués par le ministère du Tourisme.

"Certaines villes ont des connotations très positives et des identités fortes", poursuit Baker, citant Paris et Dubaï pour exemples.

L'image de marque d'une ville débute au niveau local. "Restez à l'écart de la politique, parce que c'est perdu d'avance", pointe Charley J. Levine, président de Lone Star Communications, l'une de plus grandes sociétés de relations publiques de Jérusalem. "Il s'agit de trouver des points de consensus, autour desquels graviteront le soutien et l'enthousiasme nécessaires."

Politique ne rime pas avec tourisme

Mais la séparation entre marketing touristique et politique n'est pas toujours évidente. Il y a des moments où la situation politique devient si pesante qu'il est impossible de l'ignorer.

"Face à un événement comme la flottille de Gaza, vous ne pouvez dire : 'laissons cela de côté, poursuivons nos vacances'", déclare Rafi Caplin, consultant basé à Londres qui travaille pour Longwood Holidays, une agence de voyages spécialisée sur le Moyen-Orient. Il vend des séjours en Israël depuis 35 ans. Lors du fiasco de la flottille, il se doutait que les touristes suspendraient leurs réservations pour la Terre promise pendant quelques jours, mais selon lui, l'"effet négatif" devait s'arrêter là.

"Il est très difficile de détourner l'attention du conflit politique et militaire", explique Levine. "Les images sur Israël qui inondent régulièrement la planète, en particulier après l'épisode de la flottille, remplissent l'esprit des Internautes et téléspectateurs du monde entier." Combattre ces images pour promouvoir la marque de Jérusalem est une guerre d'un autre genre, que la municipalité n'a pas peur de mener.

"Nous avons l'habitude d'être attaqués, et pas seulement par des roquettes, mais aussi par des mots", pointe Joel Leyden, expert en relations publiques.

Selon lui, quand il s'agit de marketing sur le Web, Israël est toujours désavantagé, parce que numériquement, la cause palestinienne s'adresse à un nombre beaucoup plus élevé de partisans. La municipalité doit comprendre que "nous ne remporterons jamais la bataille par des chiffres, mais si nous faisons preuve d'intelligence et de créativité, nous pourrons étouffer le brouhaha et en revenir aux faits, obtenir la vérité, pour que nos messages soient entendus. Nous menons deux guerres en ce moment", poursuit Leyde. "Une guerre défensive, celle de la défense de la réputation d'Israël, et parallèlement, nous devons poursuivre une campagne de promotion touristique ordinaire."

Pour bâtir une meilleure image de la capitale, s'accordent les experts, il est impératif de fédérer tout le monde derrière un idéal commun. Et quand il s'agit de Jérusalem, arriver à ce que des personnes différentes s'entendent, ne serait-ce que sur un simple slogan, relève de l'impossible. "Le maire dit toujours, 'Nommez un conflit, nous l'avons à Jérusalem !'", plaisante Bar. "D'une certaine manière, nous devons faire comprendre à tout le monde - Chrétiens, Musulmans, Juifs et différents courants au sein du judaïsme - qu'aucun d'entre nous n'a le droit de faire quoi que ce soit qui nuira à l'image ou à la réputation de cette ville."

L'argent, élément fédérateur

Si le défi semble impossible, un élément pourrait bien unir tous les segments de population : l'argent. Les participants juifs de Birthright (programme de l'Agence juive destiné à toute personne qui vient en Israël pour la première fois), les pèlerins chrétiens ou les congressistes - tous détiennent des cartes de crédit.

"Il ne fait aucun doute que les haredim de Mea Shearim veulent voir affluer beaucoup de touristes, qui sont d'excellents clients pour leurs commerces ; les propriétaires de magasins arabes et musulmans de la Vieille Ville aussi", assure Levine. "Prenez chaque groupe, un par un, tous sont d'accord pour dire que plus il y a de touristes, plus ils sont heureux." Mais l'initiative a un long chemin à parcourir pour parvenir jusqu'aux visiteurs potentiels.

"Mon choix de venir ici n'était pas influencé par la promotion", dit Mark Skelton, 23 ans, employé d'une ONG anglaise, aujourd'hui en fonction en Malaisie. Il est arrivé à Jérusalem la semaine dernière dans le cadre d'une tournée en solitaire du Moyen-Orient. "Je ne suis pas sûr d'avoir entendu parler de Jérusalem ailleurs que par les nouvelles."

Mais Bar espère voir un changement une fois que la campagne "Quelque chose de bon arrive à Jérusalem" aura pris son envol. Une commercialisation agressive est en passe de créer l'image d'une ville cosmopolite, internationale, sainte et branchée à la fois. "Jérusalem est la marque la plus importante et la plus célèbre du monde", vante Bar. "Si vous demandez aux enfants d'un quartier pauvre d'Inde s'ils savent où est Berlin, je ne suis pas sûr qu'ils en ont entendu parler. Mais si vous leur demandez s'ils connaissent Jérusalem, ça oui, ils connaissent. Tout le monde connaît Jérusalem. Jérusalem n'a pas besoin que la municipalité en fasse un vulgaire objet de publicité. Jérusalem a besoin que la municipalité montre au grand jour qu'au-delà de ce que tout le monde sait déjà, nous avons bien d'autres choses à offrir."

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Quel est votre slogan ?

•"Quelque chose de bon se passe dans Jérusalem ?" La plupart des touristes et habitants de la ville grincent des dents en entendant ce slogan. Voici quelques-unes de leurs suggestions :

•"Jérusalem, une ville de monts et merveilles."

Denise Berg, Tel-Aviv

•"Jérusalem : Un cœur battant dans une ville d'âmes."

Eva Hammelburger, Jérusalem

•"Envie d'une ville en vie : visitez Jérusalem."

Yaël Levy, Marseille

•"Jérusalem, une évidence."

Sylvie Amiel, Paris

•"Le ciel, la terre, entre les deux, Jérusalem."

David Cohen, Jérusalem

•"Les marques du temps sont

sa bénédiction."

Henri Schwartz, Strasbourg

•"Pour comprendre hier et construire demain, venez aujourd'hui à Jérusalem."

Paul Choukroun, Ashdod

•"Jérusalem, le paradis sur terre."

Moshé Rosenfeld, Nice

•"Jérusalem, on l'aime."

Lulu, Belleville