Le 2 mai 1860, naissait Herzl. Il y a tout juste 150 ans. Mais où en sommes-nous un siècle et demi plus tard ? "Holyland" (Terre sainte en anglais) est devenu le synonyme de corruptions et pots-de-vin, bien loin de sons sens premier de nationalisme religieux. Les statistiques récentes publiées par le Pr Dan Ben-David du Centre Taub pour l'étude des politiques sociales dépeignent Israël comme un pays socialement et économiquement délabré, et non plus une lumière parmi les nations. Et la clé de notre futur - nos enfants - est négligée, entassée dans des classes bondées, où les enseignants sont généralement sous-payés, sous-qualifiés et surchargés de travail. Cette même clé de notre futur tombe souvent dans le paganisme, le matérialisme, l'égoïsme et l'agressivité. En observant ce désordre, nous sommes plusieurs à nous demander et à vouloir crier : "Dis, Herzl, toi, qu'aurais-tu fait ?"
Théodore Herzl.
Photo: Illustration de Dov E. Goldman , JPost
La première réaction du visionnaire aurait été sans doute pris la forme d'un bruyant "Whaouuu ! ! !" Avant de s'attaquer aux problèmes de fond, il voudrait énumérer tout ce qu'Israël a accompli pendant de si courtes années. Il rappellerait que sa célèbre déclaration de 1897, qui prédisait la création d'un Etat juif dans les cinquante années à venir, semblait trop folle pour être accomplie (ce qu'il confesse dans son journal intime).
Aujourd'hui, malgré les défis quotidiens, Israël demeure un émerveillement, un altneuland, un ancien-nouveau pays qui tente de conjuguer les valeurs modernes et démocratiques à l'histoire traditionnelle de notre terre.
Des serpents dans le jardin d'Eden
Grâce à Herzl et au sionisme moderne, la langue hébraïque est bel et bien vivace, des millions de réfugiés juifs ont été sauvés, une culture florissante a germé, des innovations technologiques et scientifiques se sont déversées dans le monde entier, nourrissant des foyers d'idéalisme et ramenant le Peuple juif à ses origines.
Hélas, des serpents se sont infiltrés dans le jardin d'Eden sioniste. La corruption, comme un cancer, s'étend et infeste de l'intérieur. Même nos gouvernants, ceux qui sont censés veiller sur nous, nous inspirer et nous guider, semblent nous avoir tourné le dos, préférant leur gain privé au bien public.
La perversion Holyland n'est qu'une démonstration flagrante de cette culture du "tout me revient, tout m'est permis". Trempés dans les méandres de la conspiration, se sentant le droit de se servir à volonté, ils subtilisent à la population non pas seulement son argent, mais, pis encore, sa foi en la politique et en la société elle-même.
On est loin du roman utopique d'Herzl, Altneuland, publié en 1902, où le père du Foyer national juif imaginait des politiciens amateurs éloignés de toute politique partisane qui travaillaient plus à faire jaillir leurs opinions et à les répandre. Selon les mots d'Herzl : "Les postes salariés ne doivent être impartis qu'aux personnes méritantes et douées. Pour remplir des postes d'honneur, nous avons un seul et unique principe : ceux qui tentent de se mettre en avant sont ignorés ; en revanche, il nous faut débroussailler tous les coins et recoins pour y découvrir les plus grands mérites, les plus inattendus. Nous nous assurerons ainsi que notre richesse commune ne deviendra pas la proie des plus vils carriéristes."
La "République des philosophes-rois"
Des amateurs sont donc appelés au gouvernail du pays. Des gouvernants réticents sont enjoints à nous diriger. Nous avons besoin de dirigeants dotés de la modestie de Ben Gourion et Menahem Begin, qui se sont combattus avec acharnement mais vivaient humblement. Nous avons besoin de leaders qui ont de l'estime pour les valeurs. Qui nivellent la société par le haut au lieu d'instaurer des lois qui favoriseront leur porte-monnaie. De la même façon que l'égoïsme séduit les politiciens, il déforme la société.
Ben-David le souligne : le grand écart entre les riches et les pauvres nous menace, aussi bien économiquement, socialement, qu'idéologiquement. Une société de consommation florissante, ainsi qu'une société démocratique égalitaire, a besoin, pour bien fonctionner, d'une classe moyenne forte.
De telles fondations, pour rester solidement ancrées, nécessitent un équilibre constamment renouvelé. Nul besoin de retourner à l'époque des régulations strictes et des taxations excessives, des solutions moins maladroites existent pour que les riches apportent leur soutien aux plus pauvres. Comme Herzl l'avait rêvé : "Dans notre nouvelle société, nous ne considérerons pas les gens en fonction de leur richesse. Estimons nos frères et sœurs en fonction de leurs mérites."
L'éducation : la clé de tous les maux
En toile de fond de tous ces défis : l'éducation. Nous avons besoin de meilleures institutions pour transférer le savoir, inculquer les valeurs et aiguiser les compétences. Il est impressionnant de voir combien un gouvernement - qui se dit de droite - reste coi face à un système tellement défectueux. Il est déprimant de voir comment un Etat qui s'est construit sur des valeurs de communauté et de collégialité se répand dans des accès d'égoïsme et d'individualisme. Il est inquiétant d'observer combien ce pays qui aurait tant besoin d'une bonne dose de coopération se vautre dans l'inquiétude d'être pris pour un "frayer", un "idiot" et se réfugie dans des relations mondaines dénuées de toute valeur humaniste.
Presque tous ceux à qui je m'adresse reconnaissent la crise existentielle que traverse Israël. En revanche, très peu semblent déterminés à combler de tels vides. Le pays doit réagir en réaffirmant les valeurs communes sur lesquelles il s'est construit et les idéaux essentiels sur lesquels il se fonde. Tout nationaliste romantique du 19e siècle qu'il était, Herzl avait compris qu'à travers les démocraties libérales, les populations pouvaient se mobiliser et obtenir de grandes avancées. En tant que Juif, il appréciait notre héritage riche, dont il pensait qu'il pourrait se conjuguer à ce qu'il existe de meilleur dans le monde moderne. Mais le plus grand cadeau qu'Herzl ait apporté à notre société, c'est en tant que rêveur.
Le grand saut en avant imaginé par Herzl et réalisé par le peuple juif devrait nous rappeler que cette société est encore trop jeune pour devenir une nation qui hausse les épaules au monde avec toupet. Nous devons encore relever nos manches, travailler main dans la main pour permettre à nos rêves collectifs de devenir des réalités et redonner sens à cette phrase d'Herzl devenue célèbre : "Im tirtsou, ein zo aguada" - si vous le souhaitez, ce ne sera pas qu'un rêve.
Alors "Dis, Herzl, qu'aurais-tu fait ?" Il aurait répondu au cynisme moderne ambiant par un idéalisme sioniste à toute épreuve. "Pas d'édifice philosophique, pas de ballon dirigeable. Tout ce dont nous avons besoin pour construire un monde meilleur existe déjà. Et nous, Juifs, nous pouvons montrer la voie, nous pourrions créer le premier pays expérimental pour l'humanité. Nous pourrions créer une nouvelle communauté, sur ce sol ancien : notre ancien-nouveau pays !"