Exception bienheureuse dans le désolant paysage que des observateurs ont prématurément décrit comme «le printemps arabe»: le Maroc. Ce beau pays qui était déjà, avec la Tunisie, la société la plus libérale du monde arabo-musulman, va peut-être démontrer que la démocratie est soluble dans l'islam.

Là aussi, la pression de la rue a été forte. Le roi Mohammed VI a jeté du lest, beaucoup de lest. Il propose une réforme constitutionnelle d'envergure, en partie modelée sur la monarchie britannique (ainsi, le premier ministre sera d'office le chef du parti vainqueur aux législatives, plutôt que d'être choisi arbitrairement par le roi).

Une constitution qui proclame l'égalité des hommes et des femmes, qui reconnaît la liberté de culte (même si l'islam demeure la religion d'État), garantit la liberté de pensée et d'expression, reconnaît la présomption d'innocence, prohibe la torture et interdit les discriminations... et qui fera de l'amazighe, la langue de la minorité berbère, une langue officielle au même titre que l'arabe. La constitution reconnaîtra en outre les racines andalouses, hébraïques et africaines du pays.

Cette avancée remarquable ne satisfait pas les révoltés de la rue, qui manifestaient encore dimanche en réclamant l'élimination totale des pouvoirs réservés à la monarchie, mais les principaux partis politiques, y compris les islamistes modérés, l'ont approuvée et le projet constitutionnel devrait passer haut la main le test du référendum du 1er juillet.

Gardons-nous quand même une petite gêne, car il existe, même au Maroc, de puissants germes d'intégrisme islamiste. On ne sait pas dans quelle mesure les manifestations ne sont pas en partie noyautées par des éléments religieux radicaux. Indice inquiétant: la plupart des 190 prisonniers politiques que le roi s'est résigné à libérer le 14 avril, sous la pression de la rue, étaient des islamistes radicaux.

Contre-exemple: l'Égypte, où la «révolution» a entraîné la résurgence du fondamentalisme islamiste. Le pays est resté aux mains de l'armée, à cette différence près que les Frères musulmans, naguère réprimés, constituent maintenant la force politique principale. Les femmes, dont le statut s'était grandement amélioré sous les règnes de Sadate et de Moubarak, ont été exclues du processus de révision de la constitution et l'on remet en question le quota de 56 sièges réservés aux femmes au parlement.

Selon un lecteur d'origine égyptienne, aujourd'hui chercheur à Montréal, les violences contre les chrétiens (coptes) ne cessent d'augmenter, même dans les villages les plus reculés de Haute-Égypte. Des violences dont le journal Al Ahram, très lié au pouvoir, attribue la responsabilité aux Coptes!

Lors de l'anniversaire de la fondation d'Israël, des milliers de manifestants ont violemment attaqué l'ambassade israélienne en réclamant l'expulsion de l'ambassadeur. Réaction des Frères musulmans: l'armée a trop sévi contre les manifestants!

Toujours selon mon correspondant, en avril, au Caire, la prière du vendredi a été suivie d'une grande manifestation menée par tous les chefs islamistes, incluant les soi-disant modérés, réclamant la libération de l'un des auteurs de l'attentat contre le World Trade Center emprisonné aux États-Unis. À la tête de cette manif, se trouvait Aboud El Zouror, condamné pour sa participation à l'assassinat de l'ancien président Sadate... et qui a retrouvé la liberté avec le départ de Moubarak.

Pour revenir au Maroc, je vous recommande instamment, chers lecteurs, la lecture d'un petit roman remarquable, Les Étoiles de Sidi Moumen (Flammarion), de Mahi Binebine, un peintre renommé qui écrit en français, dans une langue vive et imagée. C'est l'histoire bouleversante d'un garçon joyeux et inoffensif qui finit par devenir kamikaze... une destinée forgée dans la misère d'un bidonville près de Casablanca et harnachée par les apôtres du terrorisme islamiste.