Au cours des derniers mois, un certain nombre d'incidents survenus dans des pays à majorité musulmane ont retenu l'attention. Rappelons certains d'entre eux:

- En août 2009, sept membres d'une famille chrétienne pakistanaise — dont deux jeunes enfants — sont enfermés par des islamistes dans leur maison et brûlés vifs.

- Le 6 janvier 2010, des chrétiens coptes égyptiens, sortant de la messe de minuit de Noël dans la ville de Nagaa Hamadi, sont mitraillés par des islamistes circulant en voiture. Bilan: six morts.

- Le 23 février dernier, dans la ville de Mossoul, au nord de l'Irak, un commando islamiste fait irruption dans la maison d'une famille chrétienne irakienne et tue le père et ses deux fils, sous les yeux horrifiés de sa femme et de sa fille. Ce massacre couronnait une semaine où huit chrétiens de cette ville avaient été assassinés.


Traitement des chrétiens

Cette sinistre litanie peut être poursuivie à l'infini. Si l'on élargit la zone d'investigation et si l'on recule de quelques décennies, le portrait se précise et s'étoffe: partout, des islamistes s'attaquent aux chrétiens, dont l'écrasante majorité est autochtone. En Algérie, sept moines trappistes, vivant dans le désert, ont été froidement assassinés à Tibhirine. En Égypte, les Coptes sont régulièrement mitraillés, leurs maisons et leurs commerces brûlés, leurs filles kidnappées et mariées de force à des musulmans.

Des musulmans égyptiens, convertis au christianisme, sont menacés de mort et dépouillés par l'État de tout statut légal. En Palestine et Israël, les chrétiens arabes sont laminés entre l'extrémisme musulman et l'extrémisme juif. Ils représentaient 25 % de la population au début du siècle dernier, ils n'en représentent plus que 2 % aujourd'hui.

Au Liban, 40 % des chrétiens ont quitté le pays. En Irak, 400 000 chrétiens irakiens (sur un million) ont dû fuir le pays à la suite des menaces et des assassinats (dont ceux de certains évêques et de nombreux prêtres) et végètent dans des camps de réfugiés. Au Pakistan, une «Loi du Blasphème» inique permet de condamner à tour de bras des membres de l'infime minorité chrétienne pakistanaise. En Malaisie, une loi récente durcit le traitement des chrétiens.


Indifférence

Le plus tragique dans tout cela est que cette persécution se fait dans la passivité presque totale des gouvernements de ces pays et dans l'indifférence ennuyée de la grande majorité des musulmans de ces pays — ou avec l'approbation active de certains d'entre eux.

Une conclusion s'impose, qui a d'ailleurs été déjà tirée par de nombreux observateurs: un rejet des chrétiens, quelquefois subtil, d'autres fois violent, est en train de s'opérer dans le monde musulman. On y accepte de plus en plus difficilement la présence de ceux que l'on juge «infidèles», même si ce sont des citoyens à plein titre, même si leurs communautés sont enracinées dans ces terres depuis des millénaires.

Pourquoi ce drame est-il ignoré, et pourquoi devrait-il nous intéresser, ici au Québec, ici au Canada? Pour plusieurs raisons:

a) Le silence général des médias (surtout anglophones) et de l'opinion publique sur cette tragédie est assourdissant. Si un traitement pareil était réservé à tout autre groupe religieux, juif, musulman, bouddhiste, on s'en émouvrait, on le dénoncerait — et à juste titre, car toute atteinte aux droits humains est intolérable. Mais on semble perplexe quand il s'agit de chrétiens, surtout de chrétiens aussi exotiques que des chrétiens «coptes» ou «irakiens» ou «arabes» ou «pakistanais».

b) Partout en Occident, et très particulièrement au Québec, on trouve incongru de parler de persécution des chrétiens. Pour certains milieux québécois, dès qu'on dit le mot «chrétien», on évoque des images négatives, on rappelle une Église qui a longtemps été puissante, on a presque une réaction allergique. On a une extrême difficulté à imaginer des chrétiens en situation minoritaire, menacés, frappés d'ostracisme, persécutés. On ignore donc le problème.

c) Nos concitoyens musulmans, qui demandent, à juste titre, le respect de tous leurs droits de citoyens canadiens, n'auraient-ils pas un message à transmettre à ceux des leurs qui sont restés dans leurs pays d'origine? N'auraient-ils pas un rôle à jouer pour que cesse cette tragédie?


Nettoyage religieux

Si l'on est un défenseur des droits de la personne, la tragédie des chrétiens dans les pays à majorité musulmane, pour peu spectaculaire, ou plutôt, pour peu médiatisée qu'elle soit, est aussi digne d'intérêt et de compassion que celle des minorités opprimées ailleurs.

Si, enfin, l'on souhaite que la paix règne dans le monde, si l'on veut éviter la confrontation entre blocs religieux ou entre les «civilisations» dont l'Américain Samuel Huntington s'est fait le théoricien, on voudra voir les gens de différentes confessions coexister pacifiquement, et l'on refusera la logique de ségrégation et d'homogénéité religieuse qui ne peut que nous ramener aux pires aberrations de l'histoire.

Notre temps a inventé l'expression «nettoyage ethnique». Un «nettoyage religieux» qui s'étend dans l'étouffante et insidieuse durée, qui se réalise grâce à un impitoyable laminage quotidien, avec de soudaines flambées de violence meurtrière, n'est ni moins terrible ni moins condamnable.

Jean Mohsen Fahmy - Écrivain