RÉCIT

C’est l’histoire d’un jeune Israélien sans histoire. Un habitant de Mitzpe Hila, en Galilée occidentale, dont le nom est désormais connu dans le monde entier. Ce vendredi, il y aura quatre ans que Gilad Shalit moisit dans une geôle secrète quelque part dans la bande de Gaza. Son sort est devenu un enjeu politique régional qui le dépasse et sur lequel il n’a aucune prise.

En ce 25 juin 2006, la tension est palpable dans et autour de Gaza. Les islamistes du Hamas ont gagné les législatives dans les territoires palestiniens cinq mois plus tôt, mais dans la bande de Gaza un certain chaos règne depuis le retrait israélien de 2005. Ce jour-là, des militants palestiniens surgissent d’un tunnel creusé sous la barrière fortifiée séparant Gaza d’Israël, ils s’attaquent à un char israélien dont ils tuent deux soldats. Ils en blessent un troisième, qu’ils emmènent par le tunnel. Ils perdent deux hommes dans l’opération.

En Israël, l’émotion est immédiate et vive. Tsahal, l’armée, ne peut tolérer qu’un de ses soldats soit pris en otage. Côté palestinien, trois groupes revendiquent l’action menée en commun : la branche armée du Hamas, celle des Comités de la résistance populaire et un groupe d’ultras, l’« Armée de l’islam ».

Ils annoncent leur intention de monnayer leur prisonnier contre un maximum de prisonniers palestiniens détenus en Israël. Mais le gouvernement israélien d’Ehoud Olmert décide de réagir par la force, d’autant que des groupes palestiniens armés continuent à tirer depuis Gaza des roquettes artisanales qui plongent les villageois israéliens des environs dans l’angoisse. L’opération « Pluies d’été » est lancée le 28 juin. Comportant des incursions terrestres et d’intenses bombardements, elle coûtera la vie à quelque deux cents Palestiniens, alors que nombre de bâtiments ministériels, de routes, de ponts et l’unique centrale électrique du territoire sont détruits.

Mais rien qui puisse faire libérer Gilad Shalit ou faire cesser les roquettes.

Le prisonnier israélien avait 19 ans au moment de son enlèvement. Le 28 août prochain, il aura 24 ans. Au pays, son sort funeste émeut tout le monde. Son père Noam, qui tente de remuer ciel et terre en Israël, en Europe, aux États-Unis, est devenu une figure connue de tous. Même le président Nicolas Sarkozy l’a reçu. Il est vrai que Noam et Gilad possèdent aussi la nationalité française même s’ils ne maîtrisent pas la langue de Voltaire.

Contrastant avec l’immense empathie dont jouit Shalit en Israël, la population palestinienne aborde le sujet d’un tout autre angle. Les Palestiniens, en effet, font valoir que plus de sept mille d’entre eux croupissent dans les prisons israéliennes, dont quelque trois cents mineurs, une trentaine de femmes, et plus de trois cents dans le cadre d’une « détention administrative » (sans inculpation ni jugement, cela parfois pendant des années). La cause des prisonniers est un sujet sensible qui rallie la plupart des Palestiniens – un élément que les ravisseurs de Shalit n’ignorent pas.

Des négociations indirectes ont fini par s’ouvrir, grâce aux bons soins des Égyptiens puis des Allemands. Elles connaîtront maints rebondissements mais leur caractère secret occulte la plupart des détails. Il est question d’échanger Gilad Shalit contre un nombre important de prisonniers palestiniens, entre 450 et mille. Les Israéliens ne voulaient pas libérer de détenus « ayant du sang juif sur les mains ». Ils auraient reculé. En 2009, les pourparlers ont bien failli aboutir. L’exigence israélienne de dernière minute de bannir de Cisjordanie une centaine de prisonniers une fois libérés aurait fait capoter le marché.

Les deux camps se sont constamment rejeté la responsabilité de ces échecs. Tous deux jouent une partie serrée. Le Hamas veut une victoire éclatante dans un dossier très populaire. Israël veut la libération de son soldat… mais pas à tout prix : pressions internes et externes – européennes et américaines, dit-on – s’accumulent sur les autorités pour qu’elles n’offrent pas au Hamas honni et vomi un formidable cadeau, argument auquel Binyamin Netanyahou n’est pas insensible.

Les islamistes, eux, gèrent l’affaire avec une froide détermination. Ils refusent de laisser la Croix-Rouge internationale rendre visite à leur otage (« pour raisons de sécurité », disent-ils, imitant une antienne israélienne), tout en faisant savoir via un site proche d’eux qu’il regarderait les matchs du Mondial de football depuis sa cellule. L’an passé, ils ont juste diffusé, contre la libération d’une vingtaine de femmes, une vidéo du caporal Shalit (entre-temps promu sergent par Tsahal…). Ils ont aussi cautionné un dessin animé où l’on voit le père de Gilad, les traits vieillis, recevant le cercueil de son fils décédé en captivité, un message aussi glauque que clair… Ledit Noam Shalit a lancé une marche vers Jérusalem et compte camper devant le domicile du Premier ministre. Lundi, il s’est élevé, lors d’une cérémonie pour son fils à la Knesset, contre l’allégement du blocus de Gaza décidé par le gouvernement israélien. « Le Premier ministre, a-t-il dit devant… les quatre députés présents, a cédé aux pressions internationales et nous, nous demandons où est Gilad, notre fils, dans cette équation ? »

contexte

Le problème

Ni Israël ni les capitales arabes ni l’Occident ne veulent que le Hamas ne tire profit de la libération du soldat israélien retenu dans la bande de Gaza depuis quatre ans.

L’enjeu

Un peu partout, le succès de l’expérience islamiste palestinienne est craint comme la peste. La peur de la contagion islamiste reste dominante.

A suivre

Une réconciliation entre l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas à Ramallah et le Hamas à Gaza ouvrirait la voie à une libération de Gilad Shalit. Mais ce rapprochement paraît toujours bien improbable étant donné l’antagonisme qui règne entre les deux camps.

Projets Belges

Aide à Gaza

Profitant de l’allégement du blocus israélien de la bande de Gaza, la Coopération belge accélère ses préparatifs en vue de la construction d’une unité de chirurgie et de soins cardiaques intensifs au « European Gaza hospital » de Khan Younes. Deux millions d’euros ont été dégagés pour la construction de l’unité, pour la livraison du matériel de pointe ainsi que pour la formation du personnel. Mais il semble peu probable que les médecins gazaouis soient autorités à se rendre à l’étranger pour y être formés aux techniques cardiaques de pointe et des spécialistes belges pourraient être envoyés sur place. Pour l’heure, l’équipe de la coopération technique belge (BTC) basée à Jérusalem-Est préparecas les appels d’offres car l’unité cardiaque devrait être prête avant la fin de l’année.

Une plainte à Bruxelles pour des crimes à Gaza

Une plainte à propos de Gaza a été déposée mercredi matin au parquet fédéral à Bruxelles. Elle vise des crimes de guerre et de droit international humanitaire. Et concerne quatorze personnalités israéliennes provenant principalement du monde politique et militaire ayant participé, selon les plaignants, à l’opération « Plomb durci », menée par l’armée israélienne début 2009. Sont notamment visés les ministres Ehud Olmert, Tzipi Livni et Ehoud Barak. Déposée au nom de la compétence universelle, la plainte devra cependant passer le cap de la recevabilité, avant de donner lieu à une éventuelle enquête.

Si l’action juridique est déclenchée en Belgique c’est parce qu’il y a une victime belge. Anwar El Okkar est né à Gaza et naturalisé belge depuis 2008. Le 5 janvier 2009, son oliveraie, située au sud de la bande de Gaza, a été bombardée par l’aviation israélienne, expliquent ses avocats, Mes Georges-Henri Beauthier et Alexis Deswaef. « Lors d’une deuxième vague, ils ont détruit les plantations au bulldozer. Ensuite, l’aviation est repassée pour disperser du phosphore, ce qui a brûlé la végétation et pollué le puits d’eau. »

Quel que soit le sentiment que l’on peut éprouver par rapport à cette destruction, cela n’en fait pas nécessairement un crime de guerre. Les avocats vont cependant plus loin en évoquant d’autres faits liés à l’opération « Plomb durci ». « Le 3 janvier 2009, poursuit Alexis Deswaef, la mosquée Ibrahim Al-Maqadmah a été bombardée à l’heure de la prière. Treize personnes, parmi les blessés ou les proches de tués, se sont donc associées à la plainte belge. Elles sont victimes de la même opération “Plomb durci”. Le rapport Goldstone, approuvé par les Nations unies, reconnaît d’ailleurs la connexité entre la mosquée et l’oliveraie. »

Les avocats misent donc sur ce rapprochement pour asseoir la recevabilité de leur plainte, avec la victime belge et les treize autres de la mosquée. C’est le parquet fédéral qui devra maintenant examiner si la plainte répond aux critères du droit belge avant de passer à la phase des investigations.

Si le parquet ne confirme pas le lien entre les faits de la mosquée et ceux de l’oliveraie, les avocats des plaignants estiment qu’une autre disposition légale impose aussi à la Belgique de se saisir de la plainte et d’enquêter.

« En matière de crimes de guerre et contre l’humanité, toute la communauté internationale doit lutter contre l’impunité. Et comme Israël ne poursuit pas ces faits, la Belgique, saisie de la plainte, doit le faire », affirment les avocats.