Ancien député travailliste, président du Parlement israélien - la Knesset - de 1999 à 2003, auteur et ancien membre du mouvement Peace Now, Avraham Burg critique durement le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. À la fin d'une semaine houleuse marquée par le raid israélien contre une flottille menée par des organisations non gouvernementales, nous avons voulu savoir ce qu'il pensait du dernier épisode du conflit israélo-palestinien. Nous l'avons joint hier à Nataf, près de Jérusalem, où il s'est reconverti dans les affaires.

Q Le raid de l'armée israélienne contre la flottille en route pour Gaza a eu lieu il y a maintenant cinq jours. Quel regard portez-vous, actuellement, sur l'événement?

R Je crois toujours qu'aucune action violente ne réglera le problème ou le fera disparaître. Pourquoi ne pas s'attaquer au problème plutôt que d'attendre une solution magique? Le problème est israélo-palestinien, israélo-européen, c'est aussi Gaza, l'Iran... Des enjeux qui sont cristallisés, d'une certaine façon, dans les événements de lundi dernier. Je pense qu'il était stupide de penser, après toutes ces années, qu'on puisse bloquer un tel message symbolique de façon militaire. On peut ne pas s'entendre sur ce qu'il faut faire, mais l'Iran est une priorité qui fait consensus. Alors, après ce qui est arrivé lundi, est-ce qu'on s'approche de la résolution de cet enjeu? La réponse est non: nous avons nui au progrès. Les Américains sont moins déterminés à nous aider, les Européens ne voient plus les choses du même oeil. Ça n'a pas servi notre but ultime pour résoudre la crise iranienne. À la fin, ce que moi et plusieurs autres pensons, peu importe qu'ils soutiennent ou non le gouvernement, est que si Benyamin Nétanyahou et (le ministre de la Défense) Ehoud Barak ne peuvent s'occuper d'un simple bateau dans la Méditerranée, pouvons-nous vraiment leur laisser piloter le navire national? La réponse est non.

Q Est-ce un échec?


R C'est un échec majeur symbolique. Il y a toutes sortes de problèmes, mais celui-là est emblématique. Il touche l'opinion publique. Je n'ai pas voté pour ce gouvernement, je ne crois pas en sa sincérité, en ses possibilités. Aujourd'hui, je me demande: mon gouvernement est-il fou ou stupide?

Q Et qu'en pense cette «majorité silencieuse» en Israël?

R C'est un oxymoron. En Israël, personne n'est silencieux et il n'y a pas de majorité. Vous avez des tranches de population mais pas de «pizza». Je dirais que certains Israéliens sont indignés par ce qu'ils ont vu et rêvent toujours d'une sorte de guerre des Six jours magique. Même s'ils n'ont pas aimé ce qu'ils ont vu, ils détestent encore plus ceux de l'autre côté. Ils se lamentent: le monde entier est contre nous! La Turquie est notre ennemie! Déclarons la guerre pour reprendre du territoire! Après quelques heures, tout le monde s'est rangé derrière le premier ministre et cette idée que le monde entier est contre nous. Nous ne sommes pas encore prêts à écouter d'autres voix.

Q Qu'attendez-vous du reste du monde, des pays «amis» d'Israël comme les États-Unis et le Canada?

R Je n'ai aucun doute que (nous avons besoin) d'une seule politique mondiale, pas seulement celle de l'Europe et celle des États-Unis. Une seule voix qui dirait: «Écoutez, la priorité numéro un est la réconciliation entre l'Occident chrétien et démocratique, et le monde musulman. Nous voulons régler des problèmes, pas en créer de nouveaux. Vous, les Israéliens et les Palestiniens, vous n'avez pas le privilège d'être les cancres.» En ce moment, l'impression est qu'on peut continuer comme ça tant qu'on veut. C'est maintenant le temps de dire que c'est assez.

Q Vous avez déjà décrit la société israélienne comme étant «paranoïaque» et «xénophobe». Est-ce que cette paranoïa a mené au raid?

R J'ai écrit des livres sur le sujet... C'est une mentalité nationale, celle qui a porté au pouvoir la droite radicale, fondamentaliste et nationaliste. Nous l'avons vu encore aux dernières élections, le choix délibéré de Benyamin Nétanyahou de mettre Avigor Lieberman (le fondateur du parti de droite Israel Beytenou) aux Affaires étrangères. Il lui a donné des allumettes et lui a demandé de surveiller la poudre... Il l'a fait. De la façon qu'on connaît. C'est la faute de Nétanyahou.

Q Mais le premier ministre Nétanyahou a toujours l'appui de la population...

R Et c'est une tragédie que tant d'Israéliens coincés dans ce ghetto trouvent à justifier chaque événement au lieu de chercher des alternatives.

Q Quelle importance aura le raid dans toute la séquence du conflit? Est-ce que ça pourrait être un tournant?

R Je pense que ce sera une charge de plus sur le dos du chameau. Je ne sais pas s'il y aura, à la fin, une politique claire et précise menée par le président Obama, qui dira aux Israéliens: «That's it! Ça suffit! Je ne vous laisserai pas, en tant que meilleur ami, devenir l'ennemi numéro 1 de l'Occident. Pour vous aider, avec l'Iran, avec la Syrie, avec le Golan, vous devez vous aider vous-même. Sans ça, ce sera le statu quo.»

Q Avez-vous confiance en Obama?

R Son discours au Caire était magnifique, incroyable, émouvant, mais ce n'était que des mots. Tant que les gens ici n'y verront que des mots, ils ne sauront qu'en faire. Le Moyen-Orient est plein de mots vides, de verbiage, de rhétorique. Nous sommes bien meilleurs que lui en la matière! C'est un amateur! Il y a ici 4000 ans de discours vides! S'il ne vient pas ici pour appliquer sa politique, c'est un problème. Ce n'est pas que j'attends davantage d'Obama. J'attends simplement quelque chose!

Q Jeudi, à la Knesset, les débats ont été houleux, voire violents, quand des députés ont traité une députée arabe israélienne de «traîtresse» et l'ont physiquement empêchée de prendre la parole. Comme ancien président de la Knesset, que pensez-vous du chaos auquel on a assisté?

R Je prie cinq fois par jour. Jeudi, j'ai remercié Dieu de m'avoir donné la sagesse de quitter la vie politique il y a six ans.

Q Vous ne planifiez donc pas retourner en politique?

R Oh non! La Knesset s'est comportée de manière honteuse à cause d'un événement honteux. Les droits civils et les droits de la minorité en Israël se sont érodés dramatiquement et brutalement. Ce qui s'est passé à la Knesset en était la démonstration. Depuis plus de 40 ans, Israël peut agir en Cisjordanie et ailleurs sous le couvert d'être la seule démocratie au Moyen-Orient. Plus le processus démocratique s'érode, moins le monde le tolérera. Et moins le monde tolèrera, plus il demandera d'arrêter ces politiques agressives, malicieuses et stupides en Cisjordanie et ailleurs.