Le Liban est en train de traverser une nouvelle crise existentielle. Qui dit crise existentielle se réfère à une situation dans laquelle une entité est menacée d’implosion voire de disparition pure et simple.
Ce qui distingue ce qui se déroule actuellement dans le pays aux cèdres des phénomènes ressemblants qu’ont pu traverser d’autres Etats, c’est l’incongruité des causes et du traitement du mal.
Vu de façon rationnelle, disons avec les yeux d’un Européen éclairé, ce qui se déroule chez nous procède de tenants d’une simplicité désarmante. Mais, soumis aux pressions et aux intérêts qui prévalent dans notre région, le Liban, ses politiciens marrons et ses institutions bidon, perdent à la fois la tête et le sens du ridicule.
Certes, une intervention de l’Occident, qui pourrait, pour le moment, se limiter à une ferme démonstration verbale de ses responsabilités, serait probablement de nature à canaliser la tragicomédie en marche. Mais l’Occident, effrayé par le terrorisme d’Etat iranien et syrien, et plus préoccupé par les autres chats qu’il a à fouetter, permet à la conjoncture de dégénérer.
Dans ces conditions, Beyrouth devient le miroir du monde arabe, laissant apparaître sa folle immaturité, ses innombrables châteaux en Espagne et son attirance maladive pour le recours à la violence.
Cela se résume à un troupeau de babouins gesticulant devant les menaces d’une bande d’hyènes. Et à la négation des principes fondamentaux des sociétés organisées, que sont la prééminence du gouvernement élu, le respect du judiciaire, et l’asservissement des forces armées et des autorités symboliques au pouvoir exécutif.
Dans cette chienlit absolue, ce sont les quelques individus qui persistent à tenir un discours honorable et cohérent qui passent pour des malades mentaux.
A l’origine de la tempête, l’assassinat de Rafic Hariri, ancien premier ministre, et de 22 autres personnes, lors d’un attentat à la bombe, le 14 février 2005.
Le 13 décembre de la même année, le gouvernement de la république libanaise demandait à l’Organisation des Nations Unies de créer un tribunal à caractère international, chargé de juger les auteurs de l’élimination de son ancien Président du Conseil.
Répondant à cette requête, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies adoptait, à l’unanimité, le 30 mai 2007, la résolution 1757, ordonnant la création du Tribunal spécial pour le Liban (TSL).
Son mandat : poursuivre les personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005.
Après une enquête minutieuse sur plusieurs années, le TSL est sur le point de rendre public l’acte d’accusation qu’il a dressé.
Se basant sur des rumeurs persistantes, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, se déclare persuadé que l’acte d'accusation pointe du doigt des membres et des officiers de sa milice, comme étant impliqués dans l’assassinat du 14 février.
A l’origine de cette hypothétique accusation contre le Hezb, l’interception par les enquêteurs de conversations téléphoniques entre des miliciens, les jours précédant le crime, ainsi que celui de son exécution.
Ce qui signifierait, tous les Libanais le comprennent, que les séides hezbollanis de Téhéran et Damas auraient, en l’occurrence, réalisé l’ordre d’abattre Hariri, sur l’injonction du dictateur syrien Béchar Al-Assad.
Or la milice chiite, forte de 20 000 hommes de main et puissamment armée par ses deux commanditaires, fait régner sa loi sur le Liban, privé de toute force capable ou désireuse de s’opposer aux volontés du Hezbollah.
Dans ces conditions, Nasrallah, de même que ses ministres, ses députés et ses alliés prosyriens, n’hésite pas à faire peser sur la majorité des Libanais – les chrétiens, les musulmans sunnites et les Druzes – la menace directe d’un putsch.
Une prise de pouvoir dans un nouveau bain de sang, au cas où le Tribunal Spécial pour le Liban, sous la férule de son président italien Antonio Cassese, qui échappe totalement au contrôle de l’exécutif national, inculperait des membres de la milice, ou même, insinuerait qu’ils pourraient avoir une part de responsabilité dans l’assassinat.
Du jamais vu depuis la guerre de 2006 : Nasrallah a pratiqué trois interventions médiatiques durant ces dix derniers jours. Chaque fois, dans le dessein de réfuter la crédibilité et la compétence du tribunal international.
A l’en croire, il s’agirait d’une création des Etats-Unis et d’Israël, visant à semer la discorde au Liban. De plus, certains témoins clés n’auraient pas été entendus par les enquêteurs, tandis que les témoins impliquant le Hezb auraient fait de fausses dépositions.
Le Hezbollah, ses alliés libanais et ses sponsors étrangers dénoncent un complot occidental visant ce qu’ils nomment "Résistance".
Les nervis de la milice ont dégainé les épées de leurs fourreaux. C’est le cas du ministre de l'Agriculture, Hussein Hajj Hassan, qui avertit que "le parti de Dieu n'acceptera en aucun cas l'accusation de ses membres".
Il s’agit d’un "projet d'accusation de la Résistance avec lequel nous ne ferons pas preuve d'indulgence", a matraqué Hajj Hassan, précisant que les Etats-Unis étaient "derrière ce texte", faisant bien sûr allusion à l’acte d’accusation qui n’a pas encore été produit, et peut être même pas encore rédigé...
Le responsable de la région sud (limitrophe d’Israël) de la milice, le cheikh Nabil Kaouk, prévient pour sa part : "Nous sommes déterminés à faire face fermement au complot qui se prépare contre nous. Nous réagirons à toute décision du Tribunal Spécial pour le Liban contre la Résistance comme étant une mesure de fabrication israélo-américaine qu'on essaie d'appliquer, par le biais d'instruments locaux ou internationaux".
Dans cet esprit, le Hezbollah invite les autres composantes politiques libanaises à rejeter l’acte d’accusation du TSL avant même qu’il ne soit produit, et à mettre sur pied une espèce de commission nationale de remplacement de l’instance judiciaire internationale, dont l’unique fonction serait de juger les témoins auteurs des "faux témoignages" contre la milice.
Là où l’affaire cesse d’être uniquement granguignolesque, c’est quand les chefs du Hezb menacent explicitement de recourir à nouveau à la force, au cas où la majorité élue persisterait à exiger que justice soit rendue. Ils lui collent un canon de revolver sur la tempe en disant : la justice ou la vie !
Hassan Nasrallah : une menace en l’air
Les chefs miliciens ne cessent de répéter cette phrase : "Le 5 mai 2008, le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, avait donné au gouvernement un délai de trois jours pour revenir sur les décisions qu'il avait prises...".
Or le 5 mai 2008, Nasrallah avait exigé du gouvernement Siniora qu’il rétablisse dans ses fonctions l’officier en charge de l’aéroport international de Beyrouth, que le gouvernement libanais avait démis, jugeant qu’il agissait pour le compte du Hezbollah et de l’Iran et non celui de la République.
Le même gouvernement avait fait appel à l’armée nationale pour faire respecter ses décisions, mais celle-ci n’obtempéra pas.
Le 7 mai, la milice s’emparait par les armes de Beyrouth et tentait, sans succès, de s’attaquer aux Druzes dans leur montagne. Les combats coûtèrent la vie à plus d’une centaine de Libanais.
Face à la gravité de ces menaces, le chef du Comité exécutif du parti des Forces Libanaises, Samir Geagea, a déclaré que "la région passe par le dernier quart d'heure avant la tempête" et que "le Hezbollah veut transformer le Liban en théâtre de guerre".
Le ministre d'État Adnane Sayyed Hussein a, pour sa part, réitéré qu’il était vital de "faire la lumière sur les assassins de Rafic Hariri, ce qui suppose la nécessité de faciliter le travail de cette instance [le TSL. Ndlr.]". Il a eu cette formule un peu ambigüe quant au choix qu’il fallait faire : "il importe de ne pas sacrifier la Résistance au nom de la justice, ni la justice aux dépens de la Résistance".
La position de la France face aux menaces de guerre civile énoncées par les prosyriens est qu’elle tient à ce que le TSL puisse remplir sa fonction jusqu’au bout. Mais personne, les amis de Paris aussi bien que ses ennemis, ne prennent plus en compte les desideratas de la France, sachant qu’elle ne se mouillera d’aucune façon pour défendre la démocratie.
Quant aux Etats-Unis, leur ambassadrice, Mme Michelle Sison, a rendu visite au Dr. Geagea. Suite à cette rencontre, les Forces Libanaises ont publié un communiqué affirmant que "Mme Sison avait renouvelé le soutien absolu de son administration au Tribunal Spécial pour le Liban et réaffirmé la volonté de Washington d'offrir "tout le nécessaire pour aider le gouvernement libanais à étendre son autorité sur l'ensemble de son territoire afin de préserver la paix civile".
Qu’est-ce qu’ils attendent ?
L’ambassadeur de la "République" Islamique d’Iran, pour sa part, - infiniment plus présente sur le terrain avec 1 500 Pasdaran -, M. Ghadanfar Reken Abadi, a déclaré que, "depuis sa fondation, l'entité israélienne constitue une menace sérieuse pour tous les pays de la région. Israël ne supporte pas de voir le Liban stable".