Une galerie d'art de Tel-Aviv a retrouvé l'œuvre tombée dans les oubliettes d'un artiste juif new-yorkais. Loin des yeux et des esprits, ces esquisses fascinantes, dessins et peintures n'ont pas vu la lumière du jour depuis des décennies.

Pendant plus de 50 ans, le théâtre américain a été illuminé par le génie visuel de Boris Aronson. Né en 1898 à Kiev, fils d'un éminent Rabbi, Aronson quitte sa famille nombreuse et traditionnelle et, après de courts séjours à Moscou et à Berlin, s'installe enfin aux Etats-Unis en 1923, au cœur de l'univers vibrant du Lower East Side de New York. C'est à peu près tout ce que l'on sait de la vie de l'artiste.

Si ce n'est que peu après son arrivée à New York, Aronson s'est rapidement imposé comme costumier et décorateur de renom du théâtre yiddish, alors au paroxysme de sa popularité et de sa créativité. Il appréciait particulièrement les lieux expérimentaux, comme le Unser, le Schildkraut

et l'avant-gardiste Yiddish Art Theater.

Après avoir conçu des années durant des décors et des costumes pour le théâtre yiddish, Aronson redoute de devenir un artiste "ghettoïsé". En 1931, il choisit de déménager plus au nord, à Broadway.

Là, il se fait réellement un nom : il remportera le très prisé Tony Award de conception scénique pas moins de six fois dans sa carrière. Il intègre le Group Theater, formé par Harold Clurman, Cheryl Crawford et Lee Strasberg en 1931. Et réalise les décors de pièces de Clifford Odets et Irwin Shaw, pour ne citer qu'eux.

Il se voit aussi attribuer la conception des costumes, des décors et même de l'éclairage de quelques-unes des pièces dramatiques les plus célèbres, comme The Time of Your Life, Cabin in the Sky (Un petit coin aux cieux), The Country Girl (La Provinciale), The Rose Tattoo (La Rose tatouée), The Crucible (Les Sorcières de Salem), A View from the Bridge (Vue du pont), Bus Stop et Le Journal d'Anne Frank.

Puis en 1964, il commence son incursion dans les comédies musicales de Broadway, avec le désormais emblématique Violon sur le toit, pour lequel il a pu s'inspirer de ses premiers pas dans le théâtre yiddish. Aronson a également conçu les décors et les costumes pour le Metropolitan Opera et diverses troupes de ballet de New York.

Sa dernière œuvre, en 1977, aura été une adaptation de Casse-Noisette pour le petit écran, dont le chorégraphie n'était autre que Mikhail Baryshnikov. Aronson est décédé en 1980.

L'avant-garde russe

Yaron Lavitz. C'est lui la force motrice de l'exposition "Boris Aronson : le théâtre yiddish d'avant-garde, New York 1923-1931". Il est copropriétaire, avec Benoît Sapiro, des galeries Mino-taure à Tel-Aviv et à Paris. Lavitz, 47 ans, a entendu parler du travail d'Aronson pour théâtre yiddish dans des circonstances assez particulières.

Il raconte : "Je m'intéresse principalement à l'art moderne d'Europe de l'Est, des années '10' aux années 1950. D'avant-garde, principalement juif d'avant-garde. Cet art de Russie, Pologne, Ukraine, Hongrie, ou autre, raconte l'histoire des Juifs du début du 20e siècle, en combinant idées nouvelles et traditions, celles de la synagogue, des livres saints, des coutumes et croyances." Cette période, explique Lavitz, a suivi de près la Révolution russe de 1917. Elle a symboliser une brève mais luxuriante ère de renaissance juive, insufflée en grande partie par une organisation : la Kulture-Lige.

Formé à Kiev au début de 1918, le groupe n'avait qu'une mission : le développement et la promotion de la culture yiddish. Dès la fin de l'année, plusieurs "départements" de la Kulture-Lige étaient déjà sur des chapeaux de roue, comme celui de l'éducation, l'édition, la littérature et les arts. A la section des arts, qui a fonctionné activement pendant six ans, se trouvait le tout jeune Boris Aronson.

Lavitz explique : "Il y a trois ans, nous avons exposé à la Galerie nationale de Kiev, en Ukraine. Le sujet était la Kulture-Lige. Ce projet a été réalisé à Kiev, là-même où des gens ont décidé, 70 ans plus tard, d'embrasser la culture juive et de se la réapproprier. Aujourd'hui, ce legs fait partie intégrante de la culture ukrainienne."

"Et il s'exclament : 'C'est notre culture, elle nous appartient.' D'abord, ils nous tuent, puis ils prétendent que notre culture est la leur. Quoi qu'il en soit, nous avons présenté l'art de la Kulture-Lige. Un grand succès. Tous les médias étaient présents - TV, journaux, tous. C'est là que l'historien d'art Hillel Kazovsky, auteur d'un livre sur les artistes de la Kulture-Lige, a commencé à me brusquer. Il m'a dit : 'Vous devez retrouver l'héritage de Boris Aronson. Il faisait partie de ce groupe avant son départ pour les Etats-Unis dans les années 1920. Il a quitté Kiev pour Moscou, où il a travaillé pour le théâtre, puis s'est installé à Berlin. Quelques mois plus tard, il a gagné New York en 1923 et a fait partie du théâtre yiddish. Peu de gens connaissent son travail des débuts, c'est pourquoi vous devez rassembler toutes les œuvres et le remettre sur le devant de la scène.'"

Un travail de fourmi

"Je lui ai répondu que je ferai des recherches et que je verrai par la suite. Dans un premier temps, je ne savais pas par où commencer. On a même engagé un détective pour nous aider, mais il n'a rien trouvé. Finalement, nous avons contacté Ruth Apteker Gabriel, qui avait organisé une exposition sur la Kulture-Lige au Musée d'Israël en 1987. Il s'est avéré que la famille de Boris Aronson a fait don de quelques-unes de ses créations au musée. Ruth m'a mis en contact avec sa famille. L'exposition était née."

Le résultat final est gratifiant. Aronson n'était pas seulement un concepteur de décors et de costumes maintes fois prisé, c'était aussi un peintre accompli. Les 70 tableaux de décors et de costumes qui composent l'exposition mettent au jour une large gamme de styles et d'humeurs, et familiarisent le visiteur avec le monde trop vite oublié du théâtre yiddish new-yorkais. "Nous avons décidé de ne présenter que les œuvres de l'époque du théâtre yiddish", précise Lavitz. "Après cette période, l'artiste s'est s'installé à Broadway et est devenu un Américain, oublieux de son judaïsme. Il avait honte de montrer ces œuvres antérieures pour le théâtre yiddish, alors il les a cachées, et personne ne les a vues pendant 70 ans."

"Lorsque nous les avons découvertes, nous avons déterré un trésor enfoui."

"Boris Aronson : le théâtre yiddish d'avant-garde, New York 1923-1931"

Jusqu'au 30 juin à la galerie Minotaure, 100, rue Ben Yehouda, Tel-Aviv. Tél. 03-5228424.

Du dimanche au jeudi : 10h30-19h30 ; vendredi : 10h30-14h00.

L'exposition doit s'exporter en septembre au Grand Palais, à Paris, puis au musée Pouchkine de Moscou et au Jewish Museum de New York.