Hors d'Israël, 5770 s'est révélée riche en mauvaises surprises. Au cours de ces douze mois, un tremblement de terre en Haïti a tué, mutilé et déraciné près d'un million d'individus. Un volcan islandais a recouvert presque toute l'Europe d'un nuage de cendres qui a paralysé le trafic aérien. Et au Pakistan, près de 20 millions de personnes ont dû quitter leur foyer pour cause de crue de l'Indus.
Les désastres dus à l'homme n'ont guère été moins catastrophiques. Le Golfe du Mexique a absorbé la pire fuite de pétrole de l'Histoire. Aux Philippines, 34 journalistes qui couvraient une élection locale ont été assassinés avec une vingtaine d'autres personnes : le pire massacre de journalistes de tous les temps. Et à Smolensk, en Russie, une catastrophe aérienne a décimé l'élite politique et militaire de la Pologne, dont le président et sa femme, le chef d'état-major de l'armée et le président de la Banque nationale.
Les drames politiques arrivent juste derrière : la Grèce est au bord de la banqueroute, le Kyrgyzstan a été le théâtre de violentes émeutes racistes et, en Irak, des élections générales annoncées comme les prémisses de la première démocratie arabe de l'Histoire ont provoqué la paralysie du pays, livrant celui-ci à l'anarchie et le plongeant dans un bain de sang.
Par chance, rien de ce qui s'est produit en Israël en 5770, de la canicule du mois d'août au remplacement du chef d'état-major de Tsahal, n'a ressemblé, de près ou de loin, à ces désastres, ces crises et ce climat de perplexité qui ont touché tant d'autres régions du monde.
Les traumatismes de l'Empire ottoman
Le réel point faible de l'année pour le pays concerne la diplomatie. A commencer par l'incident de la flottille, il y a trois mois, quand neuf islamistes turcs ont été abattus par l'armée israélienne, venue intercepter six bateaux remplis d'activistes politiques à destination de Gaza. Quelles que furent les erreurs qu'il a pu commettre, Israël a bien été la victime d'une manœuvre qui le visait. Cette manœuvre, apparent revirement d'Ankara qui tourne le dos à l'Occident en faveur d'une orientation néo-ottomane, est encore loin d'être achevée et rencontre quelques sérieux obstacles. Mais si les dignitaires religieux turcs continuent de gagner du terrain, comme c'est le cas depuis la fin des années 1990, ils pourraient bien valoir à Israël un revers stratégique aussi grave que la perte de l'Iran comme allié en 1979.
Car, désespérant d'être acceptée au sein de l'Union européenne, la nouvelle Turquie s'est mise à convoiter une sphère qui serait dirigée par elle et inclurait le Moyen-Orient, l'Asie centrale et le reste du monde musulman. Dans une telle configuration, la place d'Israël serait, au mieux, marginale.
Si l'éventualité d'une Turquie hostile avait certes été envisagée par les experts, elle est devenue une réalité en 5770, quand les séquences filmées de l'assaut des commandos marins de Tsahal, assaisonnées des déclarations au vitriol des leaders turcs, avant et après l'événement, ont convaincu le public israélien que l'allié stratégique d'hier est aujourd'hui un adversaire et pourrait bien, demain, devenir un ennemi.
En lui-même, l'avenir de la nouvelle orientation turque reste incertain. Pour commencer, l'Egypte, l'Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe n'ont pas rejoint la zone de libre-échange créée au printemps dernier par Ankara avec la Syrie, le Liban et la Jordanie. Ce qui signifie que plus d'un, dans la région, n'apprécient pas les habits neufs de cette Turquie hyperactive, non pour cause de récentes épiphanies sionistes, mais en raison du traumatisme que fut l'Empire ottoman.
Et même si elle se créait, cette large entente économique arabo-turque ne modifierait guère le paysage commercial, où les échanges entre Turquie et monde arabe sont négligeables, alors que le commerce israélo-turc reste pour le moment florissant, même après la chute vertigineuse du tourisme israélien dans la République eurasiatique. On le voit, les torts causés à Israël par le revirement turc concernent moins le front des échanges bilatéraux que celui de la légitimité.
Les remous de Goldstone et l'impasse d'Abbas
Les nuages qui s'amassent côté turc ont rejoint ceux accumulés à la publication du rapport Goldstone, à la veille de 5770. Les dégâts causés par ce document commandé par l'ONU ont montré aux milieux politiques et diplomatiques israéliens que l'Etat juif se trouvait confronté à un nouveau type de guerre, une guerre visant à lui faire perdre la face, à le délégitimer et, pour finir, à l'ostraciser à travers un harcèlement judiciaire et des coups médiatiques bien orchestrés.
Selon l'ambassadeur d'Israël au Royaume-Uni, Ron Prosor, le gouvernement n'a pas encore pris la mesure de cette guerre non conventionnelle, ni bien compris ce véritable défi stratégique qui nous est lancé. Cette attitude pourrait changer en 5771. Dans tous les cas, les pressions continueront à affluer, venues tout d'abord de la diaspora, où l'image d'Israël pose des problèmes quotidiens, mais aussi de l'intérieur, où les expériences de 5770 en ont convaincu plus d'un que les attaques lancées par l'envoyé onusien Richard Goldstone et par le Premier ministre turc Recep Erdogan requièrent plus d'attention que la diplomatie israélienne n'a semblé leur en accorder jusqu'à présent.
Néanmoins, mis à part ces problèmes certes épineux, l'arène diplomatique a été, de nombreuses façons, favorable à Israël. Avancée la plus significative : la prise de conscience progressive par Obama que son discours du Caire, prononcé en juin 2009, n'a en rien suscité la bonne volonté arabe qu'il était censé inspirer. La demande adressée par Washington aux Palestiniens de se joindre de façon inconditionnelle aux pourparlers directs avec le Premier ministre Binyamin Netanyahou, puis la retraite opérée par Mahmoud Abbas sur ce front, ont constitué une victoire pour Israël. Dans la région, l'échec de la réconciliation entre les gouvernements antagonistes de Ramallah et de Gaza laisse désormais Abbas privé de la profondeur politique qu'il lui faudrait posséder pour imposer un accord à son peuple.
Même si une surprise est toujours possible, le président de l'Autorité palestinienne semble s'être résigné à l'idée qu'il n'est pas en position de décider de l'avenir de Gaza et qu'il doit plutôt tendre vers un accord moins ambitieux qui se concentrerait sur la vie quotidienne en Judée-Samarie, en laissant pour le moment de côté les problèmes explosifs des réfugiés, des frontières et de Jérusalem.
Le noyau dur de Netanyahou
Cette profondeur politique, Netanyahou en bénéficie de son côté en cette fin d'année 5770. Si la faction qu'il dirige est bien plus réduite que celle avec laquelle Ariel Sharon a évacué Gaza, il aborde les négociations avec une coalition stable et une solide majorité parlementaire favorable à un accord éventuel, sachant que les colombes de Kadima restées en dehors de la coalition l'emportent en nombre sur les membres du même parti susceptibles de s'opposer au marché qu'il a en tête.
Une nouvelle scission à l'intérieur du Likoud, similaire à celle qui avait précédé le désengagement, il y a cinq ans, semble peu probable, puisque même l'adoption par Netanyahou de la solution à deux Etats et son gel des constructions en Judée-Samarie ne l'ont pas privé du ferme soutien de son parti.
Avigdor Lieberman continuera certes à lui contester ce droit en 5771, mais on a toutes les raisons de penser que les partisans de Netanyahou forment un noyau solide qui, dans l'ensemble, se maintiendra à ses côtés, même s'il impose ce qu'il qualifie de "concessions douloureuses".
Le ministre Michaël Eitan, un faucon du parti qui n'avait pas suivi Sharon à Kadima, affirme aujourd'hui qu'en allant mener les négociations de paix à Washington, le Likoud doit reconnaître que sa décision historique de coloniser la Judée-Samarie n'a pas été assez suivie par le public israélien et que cet échec a des conséquences. Une attitude qui risque fort de faire pencher bon nombre de Likoudniks en faveur des prises de position de Netanyahou.
Iran sous haute surveillance et Mésopotamie en mutation
L'année 5770 a également été exceptionnellement calme sur le plan militaire. Sur les frontières immédiates, Gaza et le Liban sont restés sous tension, mais dans la retenue. Une conflagration est toujours possible, comme l'ont démontré l'incident du mois dernier - qui a fait un mort côté israélien et quatre côté libanais - et le lancement d'une ou deux roquettes sur le Néguev. Des escarmouches sans commune mesure avec la violence de la dernière décennie sur ces deux fronts, sans parler de la terreur qui s'était abattue sur la population israélienne il y a dix ans exactement, pour Rosh Hashana.
Bien sûr, aucun leader militaire ou politique israélien ne se berce d'illusions sur les visées d'Hassan Nasrallah ou d'Ismail Haniyeh. Leur hostilité est tenue pour acquis et le calme relatif de 5770 a été exploité pour mieux les cerner, mais aussi pour étudier l'Iran, avec lequel une confrontation majeure peut éclater à tout moment. Dans l'état actuel des choses, il semble qu'Israël continuera à surveiller de près la situation intérieure de l'Iran, sa société rétive et son économie de plus en plus défaillante, tout en cherchant des façons de saboter son développement nucléaire. Quant à savoir si un programme plus conséquent sera appliqué en 5771, il ne nous revient pas de le prédire ici.
Ce que nous pouvons prédire, en revanche, c'est que le retrait américain de l'Irak transformera la Mésopotamie en un grand échiquier, sur lequel la démocratie élaborée par les Etats-Unis s'évaporera inexorablement : on verra
les Sunnites, les Chiites et les Kurdes s'affronter pour le contrôle d'un maximum de territoires, pour la prise de pouvoir politique et la mainmise sur les ressources naturelles, tandis qu'Iraniens, Saoudiens, Egyptiens, Turcs et Syriens ne voudront pas être en reste. Les chances sont très faibles que tout cela débouche sur du positif, mais là encore, l'empreinte civique et économique de l'Amérique pourrait se révéler plus profonde qu'on ne le croit et les Kurdes pourraient exploiter la confusion générale pour consolider leur autonomie.
L'instabilité sociale des voisins d'Israël, et en particulier du Liban, où la violence sectaire a fait plusieurs morts le mois dernier à Beyrouth, devrait aider à mettre en perspective ce qui s'est passé chez nous en 5770.
Pas de fractures sociales
Le vacarme qui a entouré la décision de la Haute Cour de justice contre une école haredi pour filles qui refusait d'accepter les non-Ashkénazes est ce qui a le plus ressemblé à des frictions sociales dans notre société cette année. Pourtant, les haredim ont moins troublé l'ordre public que par le passé en 5770 et les affrontements autour du parking de Jérusalem ouvert le Shabbat, ou encore de l'agrandissement de l'hôpital d'Ashkelon qui empiétera sur d'anciennes sépultures, se sont apaisés sans faire de vagues.
En revanche, les haredim se sont inscrits de plus en plus nombreux dans des instituts de formation professionnelle en vue d'entrer dans la vie active. Idem pour les débats sur les enfants de travailleurs étrangers. Quoique vifs, ils sont loin d'être existentiels, étant donné le petit nombre d'individus concernés. En outre, le principe général, qui est qu'Israël devra fermer ses frontières à l'immigration illégale, est accepté par les Israéliens de tous bords et par la majorité des Arabes, qui voient leurs emplois menacés par l'afflux de main-d'œuvre étrangère. De fait, le gouvernement a pu annoncer en 5770 que la frontière avec l'Egypte serait clôturée sans rencontrer d'opposition.
Bonnes finances
Sur cette toile de fond, le domaine dans lequel Israël a eu le plus de motifs de réjouissance l'an dernier est l'économie. Sur le plan symbolique, l'année 5770 a marqué son entrée officielle dans la cour des grands, avec son admission à l'OCDE. En pratique, le succès a été plus impressionnant encore, puisque l'économie n'a cessé de se développer, le shekel est resté solide, le chômage a retrouvé son niveau d'avant la crise et Israël a consolidé son statut tout neuf de pays exportateur net. Tout cela, alors que des pays comme la Grande-Bretagne ou la Grèce, dont le budget de la défense n'a aucune commune mesure avec celui d'Israël, ont souffert de graves déficits commerciaux, d'un taux de chômage galopant et d'un accroissement dramatique de leur dette extérieure.
Dans un revers de fortune que nul n'aurait pu imaginer il y a une génération, les marchés financiers ont enregistré une stagnation du Japon et une résilience d'Israël : les Japonais continuaient à souffrir d'une absence totale de ressources énergétiques, tandis qu'Israël se découvrait tout à coup propriétaire d'un immense gisement de gaz qui fera sans doute de lui un pays exportateur d'énergie.
Le marché de l'immobilier a par ailleurs connu en 5770 certains signes de surchauffe, mais la Banque d'Israël a aussitôt augmenté les taux d'intérêt et poussé les banques à limiter les prêts, faisant clairement comprendre que son gouverneur Stanley Fischer serait là pour prévenir l'émergence d'une bulle immobilière similaire à celle qui a débilité l'économie américaine durant la dernière décennie. De même, l'introduction par le ministre des Finances Youval Steinitz d'un budget sur deux ans s'est révélée payante, injectant dans le système une dose de prédictabilité et une mesure de stabilité au moment où l'on en avait le plus besoin.
Aujourd'hui, alors que l'économie américaine elle-même recommence à manifester des signes précurseurs de récession, il est clair qu'en 5770, en cette année où tremblements de terre, éruptions volcaniques, inondations et catastrophes aériennes ont touché des pays lointains, et à l'heure où ses propres voisins continuaient à fourbir Kassams, Grads et même un programme nucléaire et où les pressions pour lui faire perdre la face, le couvrir de honte et le décourager ont atteint de nouveaux sommets, l'Etat juif peut estimer qu'il vient de passer, somme toute, une année plutôt satisfaisante.