Depuis la mort violente de trois étudiants iraniens en 1953, les jeunes manifestent régulièrement dans les rues de Téhéran et d'ailleurs. En fait, il faudrait préciser que les autorités leur permettent de... Toujours est-il que pendant cinq décennies, chaque année, le 7 décembre pour être exact, des centaines et des centaines d'étudiants ont défilé en entonnant avec constance des slogans anti-américains. En 1978, alors que le shah dirigeait encore le pays selon les canons de la dictature, des milliers de citoyens ont arpenté les avenues de la capitale en scandant «Dieu est grand» et le nom de l'ayatollah Khomeyni.

Avant-hier, une génération n’ayant pas connu d’autre régime politique que celui des religieux a mis à profit la commémoration des trois personnes assassinées en 1953 pour en changer totalement le sens, pour en transformer la signification. Le « mort au grand Satan », le quolibet dont on avait affublé les Etats-Unis, a fait place à « Ahmadinejad tu es un traître. Mort à toi », « Khamenei est un tueur, son autorité est invalide ». Quant à l’autre expression phare des trente dernières années, soit « indépendance, liberté, République islamique », elle a été remplacée ces jours-ci par « indépendance, liberté, République iranienne ».

Ce bouleversement inquiète d’autant plus les despotes qu’il ne leur a pas échappé que le maître mot des éditions 1978 et 1979, soit quelques mois avant que le shah plie armes et bagages, a été conservé : « Dieu est grand ». Façon de signaler au duo Ahmadinejad-Khamenei que la rue estime qu’il a détourné jusqu’aux fondements religieux de la République. Comme c’est souvent le cas, lorsque les autocrates perdent pied, la réaction des autorités a été violente et va le rester ainsi qu’en témoignent les exactions commises envers les opposants dans les semaines antérieurs aux événements des deniers jours.

Si l’on en croit les propos tenus par des personnages en vue de cette opposition, la population est tellement à cran, elle étouffe tellement qu’elle n’entend pas baisser la garde tant et aussi longtemps que Khamenei et Ahmadinejad n’auront pas entendu raison. Il faut savoir qu’outre le combat politique qui se déroule sous nos yeux, l’état économique de l’Iran est lamentable. L’inflation est très élevée, le taux de chômage est dans les deux chiffres et frappe particulièrement ou plutôt durement les moins de 35 ans. Quoi d’autre ? Quatrième producteur de pétrole et de gaz au monde, l’Iran importe 40% de ses besoins en essence, l’infrastructure de raffinage étant en déshérence.

Signe des temps ou plus exactement de l’isolation grandissante d’Ahmadinejad, depuis les élections du printemps dernier, celui-ci essaie de se renforcer en s’appuyant davantage sur les milices Basidj que les Gardiens de la révolution qui constituent, faut-il le rappeler, un État dans l’État grâce à son poids militaire et économique. Si les échos qui nous parviennent sont justes, soit que les Gardiens s’interrogent sur l’opportunité de maintenir Ahmadinejad, cela pourrait vouloir dire que ses jours sont comptés. Mais pas encore ceux du guide suprême.