John Parisella, Membre associé de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM et coauteur de Élections: Made in USA

Il y a un peu plus d'un an, j'étais en Virginie, au parc Prince William à Manassas, où je participais avec 100 000 partisans enthousiastes au rassemblement de clôture de la campagne Obama. Au moment où la foule se dispersait, il régnait une atmosphère presque zen. Ils étaient peu nombreux à douter que le lendemain, le 4 novembre 2008, la population américaine allait pour la première fois de son histoire élire un président afro-américain. La question n'était plus de savoir si Obama serait élu, mais plutôt avec quelle majorité.

Le tandem Obama-Biden a enregistré une victoire éclatante en remportant 365 votes des grands électeurs, contre les 173 de l'équipe McCain-Palin, recueillant du même coup 53 % du vote populaire. Il s'agissait d'un mandat clair et de la meilleure performance obtenue au chapitre du vote populaire par un démocrate depuis Lyndon B. Johnson en 1964. Il est intéressant de souligner tout particulièrement les victoires dans des États clés du Sud comme la Virginie, la Caroline du Nord et la Floride. À la veille de son entrée en fonction, la cote d'amour d'Obama dans les sondages atteignait 65 %. Barack Obama n'avait pas encore entamé sa présidence, et déjà, tous les yeux du monde entier étaient rivés sur lui.

Charme rompu

Depuis, l'Amérique a été témoin de la présidence fort probablement la plus exaltante depuis l'époque Camelot de John F. Kennedy en 1960. Dès le départ, on a pu constater que le nouveau président voulait se mettre très vite au travail. Il a rassemblé autour de lui une équipe de talents hors pair, variée, comprenant sa principale rivale des primaires, Hillary Clinton, des républicains respectés comme le secrétaire à la défense Bon Gates et le général James Jones, qui est devenu conseiller en matière de sécurité nationale, ainsi que de vieux routiers de l'ère Clinton comme Larry Summers et Tim Geithner.

Le vice-président Joe Biden s'est vu confier un rôle primordial de conseiller principal. Il ne faut pas manquer d'ajouter à ce groupe de haut calibre le personnel de la Maison-Blanche dirigé par Rahm Emmanuel, David Axelrod, Valerie Jarrett et Robert Gibbs. On pouvait dès lors s'attendre à une véritable transformation de la présidence. Les espoirs étaient grands et la tendance était au changement. Un an plus tard, toutefois, les Américains ne sont plus aussi charmés par leur président charismatique.

Des réalisations

Barack Obama n'a pas perdu de temps pour agir dans les dossiers de Guantánamo et de la torture. Puis, il s'est adressé directement au monde musulman dans un discours éloquent qu'il a prononcé au Caire. Il a mis en branle des initiatives clés dans des points névralgiques du globe comme l'Irak, l'Afghanistan et le Pakistan. Sur le plan économique, Barack Obama a obtenu l'approbation du Congrès dans le cadre du programme de mesures de stimulation le plus important de l'histoire et a augmenté l'aide gouvernementale aux principales institutions financières ainsi qu'à l'industrie automobile.

Devant faire face à la pire crise financière depuis la Grande Dépression, le président devait de toute évidence prendre des mesures audacieuses pour échapper au désastre. La plupart des économistes s'entendent maintenant pour dire que le gouffre financier a pu être évité, mais l'économie demeure fragile et le taux de chômage avoisine les 10 %. On a observé un taux de croissance de 3,5 % pour le dernier trimestre, mais c'est l'argent injecté par le gouvernement qui en est responsable en grande partie.

Il n'en reste pas moins que la menace des scénarios apocalyptiques s'est estompée. Au même moment, Barack Obama a établi quatre priorités législatives: la réforme des soins de santé, une nouvelle réglementation financière, des changements à la politique énergétique, et une attention particulière portée aux changements climatiques. Enfin, l'administration Obama a adopté des réformes en éducation axées sur les étudiants. Le taux d'approbation du président a baissé depuis son entrée en fonction, mais correspond quand même à un très respectable 52 %. Les Américains peuvent être divisés quant aux orientations politiques de leur nouveau président, mais ils lui accordent toujours leur confiance.

Inquiétudes justifiées

Cela étant dit, le style et l'orientation de Barack Obama en matière de politiques soulèvent à juste titre des inquiétudes. La gauche est impatiente et croit que la Maison-Blanche n'adoptera pas une réforme des soins de santé valable à moins d'y inclure une option publique. Sur le front des droits des homosexuels, certains activistes critiquent ouvertement la lenteur manifestée par le président dans ce dossier. Pour ce qui est de l'Afghanistan, on s'attend à ce que Barack Obama intensifie la présence américaine dans ce pays, au grand mécontentement de la faction plus militante de l'aile gauche de sa base.

Des sondages récents indiquent également que le président a perdu beaucoup d'appuis auprès des indépendants, qui forment actuellement le groupe électoral le plus important de la nation. Cette situation peut être attribuable à la fragile reprise économique, à l'augmentation du déficit et de la dette du gouvernement et à l'incertitude entourant les réelles intentions de Barack Obama concernant les soins de santé. Certains détracteurs au sein même du parti démocrate se plaignent que le président prolonge indûment la durée de vie des politiques inspirées par George W. Bush, et d'autres considèrent que son style prudent et son approche progressive ne correspondent pas tout à fait à leurs attentes ou aux raisons pour lesquelles ils ont voté pour lui.

Deux réalités distinctes

Barack Obama a fait la preuve que mener une campagne électorale et gouverner sont deux réalités distinctes. Pour certains, il semble s'attaquer à trop de problèmes et courir trop de lièvres à la fois. Comme la participation du gouvernement s'accentue sous sa tutelle, les conservateurs et les républicains espèrent que la population rejettera son programme, parce que trop ambitieux et déconnecté de l'humeur des Américains.

Les commentateurs de droite ont ainsi été amenés à suggérer que Barack Obama est vulnérable et pourrait perdre le contrôle du Congrès au profit du Grand Old Party en 2010, et se contenter d'un seul mandat à la présidence. Mais le président Obama est habituellement au sommet de sa forme lorsque ses détracteurs s'apprêtent à rédiger sa notice nécrologique. Il est extraordinairement tenace et habile. S'il réussit à faire voter sa réforme des soins de santé au cours de sa première année de présidence tout en marquant des points en Irak, en Afghanistan et en Iran, et si l'économie continue de prendre du mieux, il ne sera pas surprenant de voir les sondages lui être plus favorables.

Capable de grandir

Le premier anniversaire de l'élection à la présidence de Barack Obama nous confirme que ce dernier est un leader qui est loin d'être parfait, mais qui a la capacité de grandir. Nous pouvons constater que, tout en ciblant l'aile libérale du spectre idéologique, le président est un dirigeant beaucoup plus complexe qu'un simple idéologue. Il a démontré qu'il était capable de faire des compromis dans un monde politique polarisé et d'affronter l'adversité avec assurance.

Calme et cérébral, il est un pragmatiste qui peut soulever des foules de partisans tout en étant en mesure de gagner les votes des indécis. En pleine campagne électorale, Barack Obama affichait assurance et audace. À la tête du pays depuis neuf mois, il a été plus mesuré dans ses décisions, mais semble plus résolu que jamais à atteindre ses objectifs.

L'enthousiasme qui l'a porté au pouvoir s'est peut-être refroidi, et il devra bientôt assumer une plus grande responsabilité pour gérer le dossier de l'économie et celui des guerres dont il a hérité. Toutefois, il a su insuffler un air d'optimisme à la politique américaine et mondiale en promettant d'assurer une présidence transformationnelle.