La tension montait depuis plusieurs jours. Au loin, on voyait se rapprocher les chars d’assaut égyptiens. Le président de l’Égypte, Abdel Nasser, multipliait les ultimatums aux Nations unies, les sommant d’évacuer les Casques bleus déployés à Rafah, dans la pointe sud de la bande de Gaza, et ailleurs le long de la « ligne verte » – la frontière officielle d’Israël depuis l’armistice de 1948.

François Salesse était alors basé au camp de Rafah, où il travaillait comme technicien en approvisionnement, attaché au corps des ingénieurs de l’armée de l’ONU.

Il voyait avec inquiétude les mouvements de l’armée égyptienne dans le désert. Un soir vers la fin mai – était-ce le 29 ou le 30, il ne s’en souvient plus –, les quelque 150 soldats canadiens et les autres Casques bleus de Rafah, des Yougoslaves qui gardaient l’entrée aux Brésiliens qui veillaient aux miradors, ont reçu l’ordre de quitter les lieux.

« On nous a dit de laisser toutes nos affaires intactes, de bien plier nos couvertures, de ne laisser aucune destruction derrière nous », se rappelle l’ancien militaire, aujourd’hui âgé de 78 ans.

Le lendemain matin, les Casques bleus ont plié bagage, laissant derrière eux quelque 400 000 réfugiés palestiniens dans une mince bande de terre entre l’Égypte et Israël.

Pendants plusieurs jours, les soldats n’ont pas donné signe de vie. À la télévision, on disait qu’ils étaient peut-être prisonniers de Nasser. Puis les Casques bleus canadiens sont apparus à Trenton, en Ontario – laissant derrière eux une terre de misère, en route pour quatre décennies de déchirements.

Terrain de fermentation…

À quoi ressemblait la bande de Gaza à la veille de la guerre qui allait changer à jamais la face du Proche-Orient ? À l’époque, il y avait quelques Bédouins et près de 400 000 réfugiés palestiniens – des gens qui avaient fui leurs maisons en 1948 et qui vivaient dans des conditions déplorables.

« Ils vidaient les poubelles et en tiraient tout ce qui pouvait servir, de la nourriture, du carton pour construire des abris, ils ne laissaient que des morceaux de verre brisé », se rappelle l’ex-militaire.

« Certains Palestiniens travaillaient pour nous le jour et suivaient un entraînement militaire le soir, Gaza était une source de futurs guérilleros, une zone de fermentation servant les intérêts de Nasser », ajoute ce Montréalais d’origine française, issu d’une famille de militaires.

Après la guerre de 1948, la bande de Gaza était tombée sous la tutelle égyptienne, mais selon M. Salesse, les Égyptiens ne s’en occupaient pas beaucoup et laissaient les réfugiés à eux-mêmes. Israël a-t-il eu raison de déclencher son « attaque préventive » le 5 juin 1967 ? François Salesse en est convaincu. « Les Arabes avaient monté et préparé la guerre, Nasser venait d’avoir la confirmation de son alliance avec la Syrie et la Jordanie. Israël a pris la bonne décision, s’il n’avait pas attaqué, aujourd’hui, ce pays n’existerait plus », tranche-t-il.

Quarante ans plus tard, la population de la bande de Gaza a triplé : on y trouve aujourd’hui près d’un million et demi d’habitants, y compris des « réfugiés de 1967 » qui s’y sont retrouvés dans la foulée de la guerre des Six jours.

Pendant 38 ans, le territoire a été occupé par l’armée israélienne qui s’en est retirée il y a un peu moins de deux ans. Mais la bande de Gaza reste enclavée, isolée et entourée de barbelés, au point que plusieurs estiment que l’occupation israélienne se poursuit… de l’extérieur. Et cette terre de misère constitue toujours un terrain de fermentation pour de futurs guérilleros…

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