New York

C'est la matière d'un bon scénario pour la télévision ou le cinéma. Trois ans après s'être engagé dans l'armée américaine, un officier brillant et respecté refuse d'aller servir avec son unité en Irak, exprimant publiquement les objections que lui dicte sa conscience.

C'est aussi et surtout la réalité, celle du lieutenant Ehren Watada, né en 1978 à Hawaii, dont le procès s'est ouvert hier en cour martiale. Poursuivi pour son insoumission et ses déclarations, l'officier est devenu un héros pour le mouvement antiguerre. Le Prix Nobel de la paix sud-africain, Desmond Tutu, fait partie de ses admirateurs, tout comme l'actrice Susan Sarandon.

Et quantité d'associations pacifistes.

« Je n'aurais jamais pu croire que notre président puisse trahir la confiance que nous avions en lui », a déclaré le lieutenant Watada le 6 juin 2006, selon l'acte d'accusation retenu contre lui. « En lisant la quantité de mensonges que l'administration Bush a utilisée pour déclencher et mener cette guerre, j'ai été choqué... Si le président peut trahir ma confiance, il est temps pour moi de réexaminer ce qu'il demande de faire. »

Le 22 juin 2006, l'officier a renchéri : « Comment pourrais-je porter cet horrible uniforme maintenant que je sais que nous avons envahi un pays sur la base d'un mensonge? »

Qualifiant ces déclarations publiques de « comportement impropre à un officier », l'armée américaine a accusé le lieutenant Watada d'avoir trahi ses compagnons d'armes qui servent aujourd'hui en Irak. Depuis son inculpation, l'officier a été assigné à un travail de bureau sur la base militaire de Fort Lewis (État de Washington), où se déroule son procès. Il est passible d'une peine maximale de quatre ans de prison. Il risque aussi d'être renvoyé de l'armée pour manquement à l'honneur.

En lever de rideau, l'avocat de la défense a contesté en vain la légalité d'un procès qui attire autour de la base militaire plusieurs militants antiguerre, dont l'acteur Sean Penn.

Ehren Watada est le premier officier de son pays à exprimer publiquement son refus d'obéir à un ordre de déploiement en Irak. Selon Amnesty International, trois soldats américains sans grade ont déjà été condamnés à des peines de 12 à 15 mois de prison pour avoir refusé de participer à cette guerre.

Aussi élégant qu'éloquent, le lieutenant Watada a multiplié les apparitions publiques au cours des derniers mois, devenant une figure iconique au sein du mouvement antiguerre.

« Je ne suis pas un héros », a-t-il déclaré dans un de ses discours, selon l'acte d'accusation. « Je suis un meneur d'hommes qui a dit que c'était assez... Plus jamais nous ne laisserons ceux qui menacent notre mode de vie régner en maîtres - qu'ils soient des terroristes ou des dirigeants élus. »

Il serait très étonnant que le tribunal militaire de Fort Lewis ne rende pas un verdict de culpabilité, selon Lawrence Korb, spécialiste en matière de sécurité nationale au Center for American Progress, un groupe de réflexion de Washington.

« La Cour suprême a déjà tranché ce débat-là durant le conflit au Vietnam », a déclaré le militaire à la retraite au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse. « Tu ne peux pas t'opposer à une guerre en particulier. Si tu veux être reconnu comme objecteur de conscience, tu dois t'opposer à toutes les guerres. »

Or le lieutenant Watada s'est porté volontaire pour servir dans l'armée après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Désireux de protéger sa famille et ses compatriotes, il a été envoyé en Corée du Sud avant d'être ramené aux États-Unis, où il a appris qu'il devrait aller en Irak. Refusant de participer à ce conflit, il a demandé à être transféré dans une autre unité et proposé d'être déployé en Afghanistan. L'armée a refusé.

C'est par la suite que le lieutenant Watada a dénoncé publiquement les « mensonges » du président Bush ainsi que l'« immoralité » et « l'illégalité » de la guerre en Irak. Selon lui, la Constitution des États-Unis l'autorise à refuser un ordre illégal. Cette prise de position lui a valu le soutien de plusieurs personnalités et militants pacifistes.

« J'admire votre geste courageux et moral », a écrit Mgr Tutu dans un message publié sur le site du comité de soutien du lieutenant Watada. « Dans la tradition chrétienne, l'éthique insiste sur la primauté absolue que chacun doit accorder à sa conscience. C'est un impératif catégorique. »

Mais ces appuis prestigieux ne devraient pas influencer le tribunal militaire. Selon Lawrence Korb, le tribunal accordera beaucoup plus d'importance au respect de la chaîne de commandement qu'à la conscience d'un soldat. À ses yeux, la seule inconnue du procès du lieutenant Watada, c'est la nature de sa sentence.

« Je pense qu'il écopera plus d'un an en prison, a-t-il dit. S'il écopait une année seulement, certains soldats pourraient dire : "Je préfère passer une année en prison qu'une année en Irak". »

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